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Les passions de Daniel Darc

Âme tourmentée du rock français, l'ancien chanteur du groupe Taxi Girl rejoint, à 53 ans, le panthéon des grands artistes écorchés, qu'il admirait tant. Il est mort le 23 février, à Paris.

Par Stéphane Davet

Publié le 28 février 2013 à 20h06, modifié le 01 avril 2024 à 09h08

Temps de Lecture 4 min.

Daniel Darc lors de la 20e édition des Eurockéennes de Belfort, le 4 juillet 2008.

Ses chansons résonnaient de la conscience de s'être trop brûlé. Son parlé-chanté à la blancheur fragile possédait la lucidité du survivant, une élégance désespérée nourrie par ce que la vie lui avait donné, pris ou esquinté. "Quand je mourrai, j'irai au paradis/C'est en enfer que j'ai passé ma vie", chantait-il, en 2008, dans l'album Amours suprêmes.

Ces dernières années, Daniel Darc semblait pourtant en voie d'apaisement, mais sa santé cabossée par la fréquentation des gouffres a fini par ne pas résister.

Jeudi 28 février, l'ancien chanteur du groupe Taxi Girl, une des figures les plus attachantes et respectées de la chanson rock française, a été retrouvé sans vie par son producteur, dans son appartement du 11e arrondissement de Paris. Un mélange d'alcool et de médicaments pourrait être à l'origine de sa mort.

Vers l'âge de 12 ans, Daniel Rozoum s'amusait parfois à approcher les doigts des extrémités d'un néon de l'appartement familial, histoire de "s'électrifier" avant de partir au lycée. Cette quête d'émotions fortes, jamais loin du court-circuit, le mène sur la voie du rock dans lequel Daniel, devenu Darc, s'investit avec une ferveur mystique.

"J'ai voulu être rabbin, expliquait, en 2004, au Monde celui qui s'était ensuite converti au protestantisme, avant de devenir anarchiste libertaire et de choisir le rock. Dans les années 1970, je faisais partie d'une bande de blousons noirs. Je n'écoutais que du rock des années 1950. Le punk a changé tout ça. J'y retrouvais la même excitation, mais la musique était connectée à la réalité."

Daniel Darc en concert lors de la 24e édition des Francofolies de La Rochelle, le 15 juillet 2005.

Le rock comme outil de formation

Objet de désir et de défoulement, le rock est aussi outil de formation. "Dans Rock & Folk ou Best, les articles de Patrick Eudeline, d'Yves Adrien ou d'Alain Pacadis m'initiaient à Malcolm Lowry, Huysmans ou Drieu La Rochelle ; Patti Smith me faisait découvrir Godard", confiait le chanteur. D'autres noms s'inscrivent dans ce panthéon, de préférence ceux dont les créations semblent s'identifier à un mode de vie. Mishima, Bukowski, Kerouac, Burroughs côtoient Lou Reed, Iggy Pop, Keith Richards ou Johnny Thunders. "J'ai toujours fonctionné au mythe", avouait Daniel Darc. Au point d'essayer de bâtir le sien.

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Formé en 1977, au lycée Balzac, avec Mirwais, Laurent Sinclair, Stéphane Erard et Pierre Wolfsohn, Taxi Girl décroche le jackpot en 1980 avec Cherchez le garçon. Premier hymne du rock français des années 1980, le morceau est marqué par les danses synthétiques de la new wave anglo-saxonne. Avec ses allures de personnage de Jean Genet retrouvé au générique de L'Equipée sauvage, Daniel Darc évoque une sexualité embrumée par les drogues : "Réveil tragique succède/A un sommeil sans rêve/La forme de son corps/Ne veut rien dire pour moi."

La préciosité du chanteur pouvait s'allier à une tension extrême comme lorsqu'en 1981, sur la scène du Palace, en première partie des Talking Heads, il s'ouvre les veines "pour le fun", éclaboussant de sang un public trop paisible à son goût.

Produit par le bassiste des Stranglers, Jean-Jacques Burnel, Seppuku demeurera le seul véritable album du groupe, malgré le charme arrogant de singles comme Aussi belle qu'une balle, Paris ou Dites-le fort (nous sommes jeunes, nous sommes fiers).

Une carrière solo après Taxi Girl

A la séparation de Taxi Girl, en 1986, Darc se lance dans une carrière solo que peuvent justifier la qualité de sa plume et son charisme. Malgré le panache de premières tentatives – Sous influence divine (1987), produit et cosigné par Jacno ; Parce que (1988), un charmant album de duos avec l'Anglais Bill Pritchard ; La Ville (1988), superbe single produit par Etienne Daho ; l'ambitieux Nijinsky (1994), accompagné par Georges Betzounis –, son parcours est plombé par ses addictions. "Au début de Taxi Girl, je prenais du speed, racontait-il en 2004. Un mec est venu dans les loges me proposer un shoot d'héroïne. J'avais trouvé là le truc pour vaincre ma timidité maladive, ce qu'un médecin a appelé ma phobie sociale." Ses quinze années de dépendance toucheront les fonds les plus sordides, le conduisant plusieurs fois aux frontières de la mort et jusqu'à la prison.

Daniel Darc en concert lors de la 28e édition des Francofolies de La Rochelle, le 11 juillet 2012.

Alors qu'il vivote en signant quelques essais littéraires et critiques (Energie dramatique de la rue, Ombremort, A Love suprême, consacré à son idole John Coltrane), Daniel Darc croise la route d'un jeune admirateur musicien, Frédéric Lo, qui fait le pari de le remettre en selle. "Personne n'y croyait, se souvenait ce dernier. Un directeur artistique m'a même demandé : "Tu donnes dans la réhabilitation sociale ?" Le fait est que Daniel a beaucoup de mal à écrire seul. Tout s'est fait dans mon salon. Je lui proposais des musiques, il écrivait sur le vif. Nous avons vite compris qu'il se passait quelque chose."

Le chemin de cette rédemption n'est pas de tout repos. "Nous avons également connu des moments difficiles, ajoutait Frédéric Lo. Daniel est d'une santé fragile, complètement esquinté par les excès passés. Pendant cette année et demie qu'a duré cette aventure, il a failli mourir trois fois." Miracle de délicatesse et de mélancolie, compensant la densité des blessures par une lumineuse musicalité, l'album Crève cœur récolte, en 2004, un formidable accueil critique et un succès commercial inattendu. Egalement récompensé d'une Victoire de la musique pour la révélation de l'année, ce disque du grand retour ouvre au rocker maudit les portes de nouvelles tournées, d'un nouveau public et de nombreuses collaborations (Cali, Buzy, Marc Lavoine, Asyl, Jane Birkin…).

En 2008, Lo et Darc publient le second chapitre de leur collaboration, Amours suprêmes, qui voit le chanteur duettiser avec deux de ses idoles, Alain Bashung et l'Anglais Robert Wyatt. En 2011, Daniel Darc s'associe cette fois au compositeur, producteur et arrangeur Laurent Marimbert pour un album plus récitatif et nourri d'improvisation, La Taille de mon âme.

Mardi 26 février, on partageait une bière avec le chanteur. Il parlait de l'enregistrement de son nouvel album, encore réalisé avec Laurent Marimbert, de l'autobiographie sur laquelle il travaillait avec notre confrère Bertrand Dicale. Il s'enthousiasmait pour différents projets, l'un en collaboration avec Bertrand Burgalat, l'autre ancré dans le blues, pour lequel il jouait de l'harmonica et d'une guitare africaine fabriquée à partir d'une boîte à cigares, nous disait tout le bien qu'il pensait de Lescop, un de ces nombreux jeunes chanteurs se réclamant de son héritage.

Il était amoureux, rigolait de ses bientôt 54 ans, à la fois désolé d'un âge trop grand pour un rocker épris de l'éternelle jeunesse et finalement émerveillé d'avoir survécu à tant d'épreuves.

> Le site officiel de Daniel Darc : www.danieldarc.com.

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