Lorsque Jésus se manifeste à Sebastião Rodrigues, jeune prêtre portugais en mission évangélisatrice au Japon, il a les traits du Christ de la fresque de Sansepolcro, peinte par Pierro Della Francesca. Un pied posé sur le tombeau, un étendard dans sa main droite, il regarde droit devant lui avec une expression d’encouragement. Un visage dur qui reflète la vie et la force. Ainsi apparaît-il au héros de Silence, le livre de l’écrivain japonais Shûsaku Endô.
Pour son adaptation du roman, en salle le 8 février, Martin Scorsese recherchait un autre portrait du Christ. « Avec davantage de compassion », précise-t-il. Dans son film, c’est dans une source d’eau que le père Rodrigues, incarné par Andrew Garfield, découvre le reflet du visage du Christ peint par El Greco dans Véronique et la Sainte Face : les cheveux blonds roux, les yeux sombres, un regard hypnotique et stupéfait. Ce visage, souligne le metteur en scène, ne se contente pas de vous observer. Il vous implore de le regarder. Le cinéaste l’a scruté toute sa vie, il lui a apporté réconfort et joie. Silence raconte l’histoire de ce long dialogue.
Retour aux sources
Juste après le montage du film, Martin Scorsese est retourné dans l’église où il priait, enfant. L’ancienne cathédrale Saint Patrick est située sur Prince Street, dans le bas de Manhattan, dans ce qui s’appelait alors Little Italy, où il a grandi. La dernière fois qu’il s’y était recueilli, c’était en août 1993, après la mort de son père. Le cercueil était resté ouvert pour accueillir les visiteurs. En plein été, l’insupportable chaleur new-yorkaise rendait cette période de deuil assez particulière. Cinq ans plus tard, en janvier 1997, à la mort de sa mère, le cinéaste a demandé au prêtre qu’une chapelle ardente soit installée. Ce qui lui fut refusé. La cérémonie eut lieu ailleurs. « Je n’ai pas eu l’impression que l’on voulait de moi, je ne suis donc pas revenu. Mais un quart de siècle sans retourner ici, c’est long. Si long. Trop long. »
Scorsese a habité Elizabeth Street à partir de l’âge de 8 ans, avec ses parents, son frère aîné, et ses grands-parents paternels. À l’étage inférieur vivaient son oncle paternel, sa femme et ses enfants. Les grands-parents maternels, ses tantes et oncles, la branche Cappa de la famille, résidaient dans le Queens. Certains cousins vivaient dans le voisinage, entre Prince Street et Lafayette. Dans cet écosystème, comparable, selon le réalisateur, à un organisme vivant, l’église était encore le cœur du réacteur, un centre vers lequel tout convergeait. Où il se rendait chaque jour. Où il est resté durant toute son adolescence. Un lieu qu’il ne pensait jamais devoir quitter.
L’église avait vieilli. Mais il a été soulagé de voir qu’elle avait été restaurée. Seule la table de communion était restée en l’état. L’autel avait été refait, comme la plupart des statues, dont il se souvenait avec exactitude : celle de saint Roch et de mère Seton, religieuse américaine canonisée en 1975… Sans oublier une pietà, extraordinaire à ses yeux. Scorsese a montré au prêtre des photos d’époque, soigneusement conservées.
Déjà, en 1993, « le quartier », comme il se plaît à l’appeler, commençait à changer. Ce n’était pas encore ce qu’il est aujourd’hui – les hommes d’affaires occupent les bâtiments autrefois habités par des familles modestes italiennes ou juives. Pourtant, rien n’a bougé : l’immeuble où habitait le cinéaste, cette église où il s’est épanoui, l’école où lui ont été administrés les premiers rudiments de son éducation religieuse. Ils sont là, comme les artefacts d’une autre époque. L’existence de ce sanctuaire improbable mais tangible – et ce en plein New York, où la mémoire est pourtant si difficile à retenir – a rassuré le réalisateur.
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