La stratégie familiale - Hubert-Félix et Lucas Thiéfaine
Fier de ses Victoires de la musique en 2012, le chanteur a demandé à son fils de réaliser son nouvel album, « Stratégie de l’inespoir ».
Lucas Thiéfaine a le regard frondeur des jeunes garçons brillants. A 21 ans, il donne ce jour-là, dans un palace parisien, sa première interview. Il n’a pas l’air angoissé, ni même perdu dans cet univers éloigné de son quotidien. Lucas arrive avec une certaine fierté. Son travail sur « Stratégie de l’inespoir », le nouvel album de son père, en tant qu’ingénieur du son est remarquable. « Je suis toujours resté assez proche de mon père musicalement, raconte Lucas. Mais je ne lui ai pas demandé d’autorisation pour m’emparer de ses chansons. Il m’avait simplement demandé à l’origine de l’aider à enregistrer ses maquettes. Comme j’avais tout le matériel à disposition, je me suis lancé. Mon père était en voyage à ce moment-là. Une fois la première chanson arrangée, je me suis décidé à la lui envoyer. »
Face à lui, Hubert-Félix a le regard troublé. Lui aussi donne pour la première fois un entretien avec son fils. « Il avait enlevé la guitare, gardé ma voix sur “En remontant le fleuve”, et ça m’a littéralement cloué. J’étais ému, ça collait tellement au texte. C’est quasiment la version que l’on entend sur le disque… Je lui ai demandé de continuer ! » Les directeurs artistiques de chez Sony aiment, eux aussi, ce qu’ils entendent, se réjouissent qu’Hubert travaille avec son fils. « Je savais qu’il avait un potentiel. Il possède une très vaste culture musicale, du blues de Chicago jusqu’à ce qui se fait aujourd’hui. Le premier soir en studio, après s’être retrouvé presque seul aux commandes, il m’a dit : “C’est exactement ce que je voulais faire, je le sais depuis que j’ai 5 ans.” Déjà, quand il était petit, se souvient Hubert, il faisait des décors de spectacles avec ses Lego. Il construisait une scène, disposait les musiciens dessus… »
"Lucas a passé le bac en candidat libre tout en poussant des caisses sur ma tournée !"
Dix ans de cours de batterie ont permis au jeune homme de faire ses gammes. Il est notamment monté sur scène pour accompagner son père lors d’un titre ou deux en 1999 à l’Olympia, puis au Zénith en 2006 et à Bercy en 2011. Fan invétéré des Strokes , il a surtout veillé à imprimer une touche rock au nouveau disque : « Je voyais Thiéfaine avec ses textes, avec sa voix, mais entouré d’un groupe de rock des années 2000. Je tenais au son moderne, qui ne passe pas devant les chansons mais qui vienne au contraire soutenir le projet. Je pensais notamment aux Dandy Warhols ».
Alors que la plupart des enfants d’artiste vivent dans un milieu très fermé, Lucas a grandi en province, mélangé avec tout le monde. « C’était ma chance et un problème. Les gens savaient que mon père était chanteur, mais ne connaissaient pas sa musique. Du coup, ça se passait mal à l’école ou au lycée, sans raisons. » A 16 ans, le jeune garçon, persuadé d’être inapte aux études, quitte le lycée pour se consacrer à la musique. « Il oublie de vous dire qu’il a eu 30 points d’avance au bac en première, intervient Hubert. Et il a passé le bac en candidat libre l’année suivante, tout en poussant des caisses sur ma tournée ! »
Depuis, Lucas a pris du galon, gravissant les échelons un à un, se faisant accepter douloureusement dans l’équipe. « L’école m’a donné l’impression de m’empêcher d’apprendre. Je ne voulais pas être un élève type. La musique m’a permis de regagner une estime de moi-même. » Son père acquiesce : « L’école ne l’intéressait pas. Grâce à la musique, j’ai découvert sa force de travail, limite inquiétante… »
Pour clore l’aventure en beauté, Lucas accompagnera son père sur scène en tant que guitariste sur ses prochains concerts. Histoire de boucler la boucle ? « Pas forcément, sourit Hubert, ça va être complètement nouveau. Je suis impatient ! »
« Stratégie de l’inespoir » (Columbia/SonyMusic), en tournée en octobre 2015, les 16 et 17 à Paris (Palais des Sports).